il faut le dire ta dernière lettre elle se pesait en
TONNES
Elle écrasait tout dans son grand rectangle noir imprimé :
les bouts des ailes alignées des
oiseaux qui venaient juste de
briser leurs coquilles les pousses
qui pointaient leurs tiges dans le
nouveau terreau blanc mon vert
bruissement chiffonné par ton long
silence
la masse métallique d’un caractère peut peser
un demi-gramme
j’additionne : les mots comportent des lettres
qui s’empilent pour composer une missive
pesante
même long un message se compte pourtant
toujours en grammes
cela s’oublie si vaguement
dehors c’était l’été je ne sais pas comment
même si j’avais refermé tous tes livres
tu te promenais encore autour de moi
légère
s’empilait
l’accumulation des jours
je ne regardais jamais le motif de tes yeux
je ne touchais plus à aucune de tes lignes
pourtant nos peaux étaient rouges déjà
puis l’automne est arrivé maintenant
où la couleur change
des paysages lumineux s’étalent :
en paumes, en coudées, en brasses
il fait noir tôt : je ne vois plus clairement
où ils finissent ils recommencent
et moi sous les nouvelles feuilles
qui tombent
je relis et je sens le poids exact
de tes mains qui griffonnent
je ne sais pas encore dans quel sens
prendre leur mesure
mais je leur laisserai un espace
pour faire le jardin
Roseline Lambert, « Prendre nos mesures », Les couleurs accidentelles, Poètes de brousse, 2018, p.113-114-115.